Sélectionner une page

L’Arche de Noé

par | Déc 24, 2013 | Esquisses | 0 commentaires

– Noé ! Que fais tu là ? Si ton Père te voyait …
– Mamie Gaïa, je ne fais rien de mal. Père m’a donné cet Arche depuis bien longtemps. Je dois apprendre à le diriger.
– Oui Noé, mais tu es encore trop petit et je ne voudrais pas que tu fasses comme ton oncle Arès ! Fabriquer ces monstres qui crachent du feu ! Toutes ces horreurs lourdes et griffues ont saccagé la terre de ton Père. Il a dû tout supprimer. Le déluge commence à peine à effacer ses erreurs de manipulation.
– Ne t’inquiètes pas Mamie Gaïa ! Les monstres ne m’intéressent pas. Je n’aime pas non plus les écailles ni la peau rugueuse de ces bêtes à trompe qu’Arès a créé ces derniers temps. Moi ce que j’aime, c’est la fourrure. Plus il y a de poils, plus c’est doux.
Évidement, c’est beaucoup plus long à fabriquer. Arès n’est pas très patient. Il ne travaille pas les détails et ses créations sont ennuyeuses.
– Et bien alors, tu devrais prendre modèle sur ta sœur Junéa. Ces créatures sont étonnantes. Si tu comptes le nombre d’heures qu’elle passe à régler chaque spécimen, ils vont être très intelligents. Elle fait en sorte qu’ils sachent se reproduire sans son aide. Je pense que ce sera de merveilleuses créatures.
– Ah ! Je ne les trouve pas très belles. Elles sont quasi sans poil, le ventre mou. Et le pire, c’est que Junéa pense les faire tenir sur deux pattes. C’est ridicule. Ça ne marchera pas ! On voit bien qu’elle n’est jamais descendue de son Arche. Elle ne connaît pas la gravité. Je vais bien rire, quand ils vont se mettre debout, sur le sable. Ca sera un déséquilibre permanent. Ils vont passer leur temps à tomber, c’est évident !
– Tu me sembles bien sur de toi, Noé. Et toi, comment comptes-tu faire pour créer tes spécimens ?
– Au moi, Mamie Gaïa, c’est simple, je ne ferai que des créatures à quatre pattes avec de la fourrure à poil long ou à poil court, suivant la température qu’il fera. Je les veux aussi de toutes les couleurs. Mes spécimens seront tous très originaux, des gros, des petits, des longs cous pour aller chercher la nourriture là où les petits ne peuvent la prendre. Je veux créer des êtres vivants dont le développement s’équilibre au cours du temps. La terre deviendra une véritable œuvre d’art !
– Et bien Noé, j’ai hâte de voir cela !
– Regarde ! j’ai créé des fiches avec la forme qu’ils auront adultes, leur taille, leur poids et leur durée de vie. J’ai indiqué aussi ce qu’ils mangent, quels sont leurs meilleurs amis et leurs pires ennemis.
Fière de lui, Noé projette les fiches de ses créatures sur le grand écran au dessus d’eux. On peut y voir des lions, des ours bruns ou blancs, des girafes, des zèbres et des tigres aux multiples rayures. Mamie Gaïa admire les créations de son petit-fils Noé.
– C’est magnifique ! Quand commences-tu ? Quel va être ton premier animal ?
– Oh j’ai déjà commencé ! J’ai pris un peu de matière amniotique pour fabriquer un petit animal, très doux. Regarde là bas, dans l’alvéole légèrement éclairée.

Au dehors, le déluge poursuivait son travail. Il pleuvait depuis des jours, des mois, voire des années. Le monde était eau, eau de mer, eau de pluie, sans horizon. Le ciel, la mer, la terre étaient gris délavé, en cours de nettoyage.
– Je suis née dans l’eau. Comment ? Je ne sais plus.
Le temps s’écoulait. Tout baignait dans un bouillon étrange. Il faisait nuit, chaque jour. Parfois un éclair tombait et illuminait le ciel, l’eau, les nuages. Les océans se réchauffaient, électrisés par cette énergie foudroyante.

Je suis née là, dans ce liquide amniotique, me nourrissant de cellules, de micro plancton. Au début, je n’avais ni bouche, ni yeux. Je n’avais pas conscience de ce que j’étais. Mes cellules se divisaient et la matière se multipliait. La faim me tenaillait. Chaque cellule réclamait son dû. Le plancton aidait à nourrir cette chose qui se développait sous l’eau, bercé par le mouvement de la mer et du bruit des eaux de pluie. Et puis, un premier souvenir s’est ancré en moi. Une force singulière m’attirait vers la limite imperceptible, celle qui sépare l’eau de l’air. Il y avait deux mondes, celui de l’eau et celui de l’air. Il y eut comme un cri, une brûlure me parcourut. J’eus la sensation de mon corps. A cet instant, un trait de lumière m’enveloppa pour me soutenir dans les airs.

Il n’y a plus d’eau, il n’y a que l’air. Autour de moi, d’autres masses informes, suspendues entre ciel et mer, s’élèvent vers un Arche planant au dessus de l’océan. Les traits de lumière descendent de l’Arche et traversent les nodules gélatineux, pour les porter jusqu’à lui. Je poursuis mon ascension et pénètre à l’intérieur de l’Arche. L’air y est frais et agréable. Il fait sombre. La pièce est une immense voûte remplie de petites alcôves. Chaque nodule est rangé minutieusement dans une alvéole et attend. Au centre de la voute, sont projetées sur un grand écran lumineux, d’étranges dessins représentant toutes sortes d’animaux. Ils sont tous très différents en taille, en forme et en couleur. A peine mon nodule déposé, l’alvéole s’éclaire d’une douce lumière feutrée. Il fait doux, je suis dans un cocon.

Sous l’impulsion d’une nouvelle énergie, les cellules qui me composent s’agitent et se déplacent. Certaines d’entre elles viennent s’attacher à l’alvéole. Un cordon me relie maintenant à la source de l’Arche. Mes cellules s’organisent. Celles qui se trouvent à l’intérieur du nodule se séparent et se coordonnent. Certaines impriment une pulsion qui donne mouvement à l’ensemble. Un balai se compose sous mes yeux.  La pulsation crée une circulation, les cellules se déplacent avec plus de facilité, en suivant le flux. Elles transportent les ressources énergétiques fournies par la Source. D’autres cellules, plus épaisses se sont assemblées pour former une solide charpente. Tout cela crée une structure en réseaux qui s’agence de concert. Vue de l’extérieur, la forme du nodule initial a bien évolué. Les cellules externes se sont développées pour former une peau qui protège l’ensemble. Mon corps prend forme.

La curiosité me pousse à aller voir ce qu’il se passe dans les cavités voisines. Bien que je sois très attachée à mon alvéole, mon esprit peut voyager et visiter la voûte. Il y a des milliers d’alvéoles. Elles sont toutes de tailles différentes. Les nodules, également. Un grand nombre d’entre eux se sont reliés à la Source et je vois la pulsation les transformer. Il fait sombre, l’écran lumineux sur lequel étaient projetés les dessins s’est éteint. Tout semble paisible, malgré l’intense activité des cellules.

Mon corps m’appelle. Je perçois une nouvelle chaleur l’envelopper. Je suis en boule, recroquevillée autour de mon cœur. Je sens son battement régulier. Je dois le protéger. Le cordon qui me relie à l’Arche a grossi. Il me nourrit et me réchauffe. J’ai quatre pattes et une petite tête toute ronde. Mes yeux sont clos. Le museau qui me sert de nez frémit à mon approche. Les oreilles sont pointues. Elles semblent me chercher. Pour l’instant la peau qui me protège est toute rose. Un léger duvet la recouvre.  A l’intérieur, tout n’est pas encore achevé. Les cellules se sont organisées en se répartissant les rôles. Les organes qui en découlent, achèvent leur formation en s’associant les uns aux autres.

Combien de temps s’est écoulé depuis mon arrivée sur l’Arche ? Je ne sais pas.
Parfois une lumière apparaît, tout en haut de la voute. Je sens un regard bienveillant nous observer. Le plus souvent, je contemple les transformations de mes voisins. Même si nous avons tous, quatre pattes et une tête presque ronde, nos formes diffèrent. Elles varient en fonction de la position des cavités autour de la voute. Les alvéoles situées près du sommet sont minuscules alors que celles du bas sont beaucoup plus grandes. C’est pourquoi les corps sont plus massifs en bas et nettement plus petits vers le haut. L’ensemble de la voute est divisé en secteurs qui rassemblent les créatures de même forme. Parfois c’est la taille qui change, d’autres fois c’est la couleur. Tout en bas, certaines espèces sont dodues avec une fourrure naissante.

chatonAT Au milieu, les corps sont épais avec des pattes très fines, d’autres ont un cou immense et un museau allongé. Sur leur peau, apparaissent des taches ou des rayures à chaque fois différentes. Lorsque je reviens vers mon alvéole, j’aperçois que le duvet qui me recouvre s’est épaissi. Me voici maintenant, habillée d’une jolie fourrure multicolore. Mes yeux sont toujours clos mais ils n’ont qu’une envie : s’ouvrir.
Mon corps frémit à chaque fois que j – Mi … Miaou !
– Mamie Gaïa ! viens voir ! vite ! dépêches toi ! elle s’éveille ! Regardes ses yeux, ils s’ouvrent. Je vais couper le cordon.
– Bravo Noé ! Tu as réussi ! Elle est si mignonne ! Comment vas-tu l’appeler ?

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *