Nous étions à Rome. Ce jour là, nous avions parcouru les rues pavées de l’antique cité, traversé la place du Capitole, escaladé les ruines du Foro Romano, puis gravi le mont Palatino pour admirer le cirque Maximus. Allongée sur de gros blocs de pierre appartenant à un ancien temple romain, je m’étais endormie, assommée de fatigue. Il faisait chaud. Le soleil peinait à se coucher et l’arôme des herbes du Mont Palatino me transportait vers d’autres lieux.
Je plongeais dans un rêve où les femmes portaient de longues tuniques plissées, recouvertes de châles en lin ; la taille mise en valeur par une ceinture de cuir, une écharpe roulée, nouée juste en dessous de la poitrine.
Je traversais alors la cité florissante, opulente, le sourire aux lèvres. Tout n’était que couleurs, parfums, conversations aux accents chantants et rires d’enfants. Je me rendais au marché pour acheter des herbes médicinales. J’étais une femme médecin, formée à l’art de guérir la tristesse. J’inventais de nouvelles potions, des baumes inédits, grâce aux fleurs aromatiques. Ces baumes avaient le pouvoir de guérir la mélancolie, ma mélancolie.
Mon compagnon me réveilla. Nous partîmes flâner aux abords des thermes de Caracalla. Je m’approchais des cyprès car, j’en admirais secrètement leur fière allure, si fragile. Mes pas me conduisaient vers un fronton d’où jaillissait une silhouette qui ne m’était pas inconnue. Elle était là, émergeant de la pierre, vêtue de cette longue tunique que j’avais portée en rêve. Etait-ce une Vestale ? Non, bien sur, elle était mon antique portrait, celui de la femme guérisseuse. Je lui souriais, comme on sourit à soi même, face au miroir. J’avais été elle, le temps d’un sommeil réparateur. J’avais le désir de sentir à nouveau cet état singulier de plénitude que le rêve m’avait apporté. Aussi, dans un élan de reconnaissance, je pris sa pause, en signe de sororité.
Aujourd’hui, bien des années après, je retrouve cette photo oubliée, marque page d’un guide touristique romain, décrivant les lieux incontournables de la cité antique. Je me vois posée, là, aux côtés de cette statue, telle une Gradiva figée par le temps. La photo n’a pas quitté son lieu d’origine, comme accrochée à l’espoir d’un retour aux sources.
J’aime ces deux silhouettes à la symétrie légèrement contrariée. La disposition des bras est en tout point identique alors que les jambes sont en opposition. Paisibles, légères jusqu’au relâchement, nos mains sont dans l’attente, l’espoir du mouvement. Nos genoux le disent : qu’il serait agréable d’échapper à cette pause, arrangée par le photographe-sculpteur et, enfin se parler. Les couleurs sont tendres et fraîches, la composition agréable à l’œil. Il émane de cette photo une certaine nostalgie, celle d’une rencontre chimérique de trois femmes, trois sœurs intemporelles, l’une faite de pierres, l’autre de pigments colorés et moi, en vie, qui les contemple.
Oui, il serait doux que cette photo s’éclipse de son guide touristique et s’offre enfin, aux regards de nouveaux lecteurs.
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