Marc,
Ta dernière lettre a été un vrai soulagement pour moi. J’ai reconnu cet étudiant en Sciences Po, si sérieux qui rêvait d’un monde meilleur, plus généreux, plus ouvert. Tu lisais déjà Spinoza à cette époque.
Tu écris avoir découvert une certaine forme de plénitude dans la petite maison de ton ancien maitre à penser. Ne t’es-tu pas tout simplement retrouvé ? J’ai le sentiment que, la vie passant, nous nous sommes égarés.
Notre jeune couple, si curieux, si enthousiaste de cette philosophie du Bonheur, a perdu son chemin en voulant bâtir une famille idéale, une maison, des enfants, une bonne éducation, … Gagner de l’argent, plus que de raison pour subvenir à tous nos désirs. Oui, grâce à ton travail acharné, nous avons réussi ce rêve, un foyer chaleureux, des enfants intelligents, prêts aujourd’hui à fonder leur propre famille. Mais que reste-t-il de nos propres désirs ? De nos aspirations fondamentales ?
Nous sortions de la fac, pour nous assoir sur les quais de Seine. Nous rêvions de construire une vie nouvelle, différente de celle de nos parents. Tu te régalais de la lecture de l’Ethique, décryptant chaque définition, chaque scolie à la recherche d’une meilleure compréhension de la « nature humaine ». Le soir, tu préparais les spaghettis bolognaises, en décortiquant propositions et démonstrations avec l’espoir de trouver la « vraie satisfaction de l’âme », la liberté d’être, la béatitude selon Spinoza. Une véritable transformation …
Ta visite à Rijnsburg a été salutaire pour nous deux. Elle a ouvert la porte aux vieux souvenirs. J’ai compris combien il était devenu vital pour toi de partir à la recherche de ton étoile intérieure. N’ai-je pas moi-même une étoile à découvrir ?
Si la tienne te demande de parcourir la terre entière pour l’atteindre, la mienne est en moi. Je m’impose des défis. Transformer cette maison, seule, me demande beaucoup. Par où commencer ? Où mettre la cuisine ? La salle de bain ? Quels matériaux utiliser ? Toutes ces questions me procurent une certaine forme de plaisir, un apaisement concret lorsque la solution apparaît, comme une évidence.
Ce mois-ci, je me suis attelée à la réfection de ton bureau. Une véritable transformation, également. J’ai commencé par l’isolation puis la pose de panneaux imputrescibles car, j’ai pris la décision de faire de ton bureau, une salle d’eau.
Mais comment transformer un bureau en salle de bain ? Où trouver l’eau ? Comment évacuer les eaux usées ? En retirant le parquet j’ai découvert sous les lattes, deux tuyaux, un pour l’eau froide, l’autre pour l’eau chaude. L’idée de cette transformation s’est alors imposée.
Pour l’évacuation, j’ai fait percer un trou et installer un tuyau d’accès au tout à l’égout qui se trouve juste en dessous, à la cave. Les voisins m’ont recommandé une équipe d’ouvriers très compétente pour m’aider.
Je t’embrasse,
Jeanne
Très beau roman/ou grande nouvelle épistolaire, je l’ai lu d’une traite.Alors que l’attitude de Marc est choquante, tu arrives à le rendre presque sympathique. La lettre première de Jeanne rend très bien son désarroi aussi. Les photos complètent et ouvrent le texte. La symbolique de la maison est hyper- parlante. De la très belle ouvrage! A quand la suite?